samedi 7 avril 2018

La concierge est rassurée... Dans leur très grande bonté, nos représentants (ou supposés tels) se penchent sur la vie quotidienne des Français et apportent des réponses décisives à leurs difficultés.
En effet, un amendement vient d'être adopté en commission à l'Assemblée Nationale, visant à...
Empêcher le dumping social ? Interdire les licenciements boursiers ?
Que nenni.
Rétablir les lois de la République là où elles ont perdu pied ? Restaurer le respect mutuel tant à l'école que dans la rue ? Définir une fois pour toutes les places respectives de la laïcité et du fait religieux ?
Pas davantage.
Adopter une politique énergétique cohérente qui résiste aux effets de mode ? Arrêter de privatiser les bénéfices et de mutualiser les pertes ?
Vous n'y êtes décidément pas.
Non, cet amendement, d'une importance telle que la face du monde risque d'en être changée, vise... à rendre les doggy bags obligatoires.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/04/06/bientot-des-doggy-bags-dans-tous-les-restaurants_5281820_3244.html

Une révolution, n'en doutons pas !

Pendant ce temps, en Chine, on met au point un système de notation des citoyens qui fait froid dans le dos.
https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/19/en-chine-les-personnes-avec-une-faible-note-sociale-ne-pourront-plus-prendre-lavion-ou-le-train_a_23389304/

La concierge est à peu près sûre que certains, ici en France, rêvent déjà d'en faire autant... Quelle jouissance en effet, pour tous ces censeurs au petit pied, de pouvoir mettre peu à peu au ban de la société ceux qui s'obstinent à fumer, ou qui ne respectent pas les limitations de vitesse, ou pire encore, ceux qui ne reviendront pas chez eux avec leur doggy bag !


jeudi 15 mars 2018

Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné !
Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois, chaque jour, quelque nouvelle espèce.
Molière
Les Fâcheux (Acte I Scène 1)

Mon bon Molière,

Avec toi je romps enfin le silence qui était le mien depuis plus de dix mois. Silence consterné, accablé, écœuré, ajoute le qualificatif qu’il te siéra.
Il faut dire que les raisons de désespérer ne manquent pas. Où que l’on porte le regard, il n’y a qu’injustice indécente, arrogants mensonges et terrifiant mépris. L’exemple, comme tu l’as toi-même si souvent observé, vient d’en haut, et hormis de menus détails rien n’a vraiment changé.

A ton époque, les prédateurs étaient de noble lignage. De nos jours, ils sont issus de la haute finance, et d’une bourgeoisie enrichie qui joue à être bien née.
A ton époque, ils maniaient l’épée, notamment pour défendre leur honneur. De nos jours, ce sont les lois et les règlements qu’ils manipulent, toujours à leur avantage exclusif et sans la moindre vergogne.
A ton époque, ils se bousculaient à Versailles et se pressaient autour du Roi pour quémander ses faveurs. De nos jours, ils pullulent partout où le pouvoir s’exerce, et rivalisent de bassesse et de tortueux stratagèmes pour s’engraisser continûment sur le dos du reste du monde qu’ils tiennent dans le plus grand mépris.
Tu le vois, ce ne sont là que différences de forme et non de fond.

C’est ainsi qu’au terme d’un processus électoral perverti un banquier a fini par être nommé président. Au prix, certes, d’un lavage de cerveau soigneusement orchestré par les médias complices du pouvoir – de n’importe quel pouvoir, pourvu que cela flatte l'ego de leurs thuriféraires et favorise leur carrière –, et de l’élimination fort opportune de son principal adversaire.

Mais ce n’est pas le pire.

Non, le pire, c’est ce totalitarisme de moins en moins rampant qui s’affirme chaque jour davantage. Le pire, c’est cette oligarchie politico-financière qui se mêle de chaque détail de nos vies et instrumentalise la loi, avide de règlementer jusqu’à nos pensées – de préférence pour les criminaliser –, et en tirer profit au passage. La coercition est partout, et de plus en plus offensive : il ne se passe pas 24h sans qu’une nouvelle obligation ou une nouvelle interdiction ne voie le jour, nous n’arrivons même plus à suivre. L’exigence de soumission devient permanente et radicale ; la volonté de contrôle, obsessionnelle ; la violence institutionnelle ne connaît plus de limites.
L’État ne se contente plus de ses missions régaliennes (la manière dont il s’acquitte de cette tâche mériterait d’ailleurs un autre chapitre), il s’insinue désormais dans l’intime, et entend bien nous contraindre à lui obéir en tout, par n’importe quel moyen.
Et sans cesse les règles changent ! Il devient quasiment impossible de se projeter dans l’avenir : nos dirigeants pratiquent l’instabilité à grande échelle ; ce qui était autorisé, voire encouragé la veille, est subitement honni le lendemain, piégeant même les plus honnêtes d'entre nous dans des situations absurdes et incompréhensibles. C’est le règne de l’arbitraire le plus absolu, de l’injustice poussée à son comble, de l'abus de pouvoir systématique, de la violence psychologique d'autant plus dévastatrice qu'elle est insidieuse, du mensonge éhonté et du mépris d'autrui qui en est le corollaire.
La fiscalité suit le mouvement, et devient à la fois moralisatrice et punitive. On ne nous taxe plus pour alimenter le budget de l’État, on nous taxe pour nous obliger à faire ceci ou à ne plus faire cela. En somme on nous taxe pour notre bien ! On atteint ici les sommets de l'hypocrisie et de la manipulation.

Pour le moment, les contrevenants sont simplement sanctionnés, ponctionnés, voire livrés à la vindicte d’un peuple chauffé à blanc par les médias aux ordres. Mais la gangrène totalitaire s’arrêtera-t-elle en si bon chemin ? Permettez-moi, mon bon Molière, d’en douter.
Déjà, un décret a été promulgué en toute discrétion en mai 2017, qui encourage la délation fiscale contre rémunération. Prétendument pour les plus gros délits seulement.
Mais le ver est dans le fruit.
Avec la disparition programmée du cash, plus un centime de nos maigres avoirs n'échappera au regard envieux du fisc.
Avec les caméras à chaque coin de rue, ainsi que dans des voitures banalisées dont les conducteurs seront payés à nous piéger, plus aucun de nos gestes n'échappera au contrôle de nos censeurs.
Avec Internet et ses infinies possibilités d’espionnage, plus aucune de nos pensées n'échappera aux velléités tyranniques  de nos maîtres. Méfiez-vous, le moindre mot tapé sur un moteur de recherche sera peut-être un jour utilisé contre vous…
J’en oublie, c’est sûr.

Nos vies millimétrées, domestiquées, violées, passées au tamis de la surveillance tous azimuts, ne nous appartiendront bientôt plus. Le fantasme de toute-puissance inhérent au pouvoir est en passe de devenir réalité. L’autoritarisme est de mise, la dictature en marche.
Hannah Arendt et George Orwell nous avaient pourtant prévenus.


* Cette comédie-ballet en 3 actes fut créée le 17 août 1661 dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte à l’occasion de la fête fastueuse donnée par le surintendant Fouquet en l’honneur de Louis XIV. Écrite par Molière et mise en musique par Pierre Beauchamp et Jean-Baptiste Lully, la pièce sera un succès et sera jouée 106 fois du vivant de son auteur.