Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné !
Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois, chaque jour, quelque nouvelle espèce.
Molière
Les Fâcheux (Acte I Scène 1)
Mon bon Molière,
Avec toi je romps enfin le silence qui était le mien depuis
plus de dix mois. Silence consterné, accablé, écœuré, ajoute le qualificatif qu’il
te siéra.
Il faut dire que les raisons de désespérer ne manquent pas.
Où que l’on porte le regard, il n’y a qu’injustice indécente, arrogants
mensonges et terrifiant mépris. L’exemple, comme tu l’as toi-même si souvent observé,
vient d’en haut, et hormis de menus détails rien n’a vraiment changé.
A ton époque, les prédateurs étaient de noble lignage. De
nos jours, ils sont issus de la haute finance, et d’une bourgeoisie enrichie
qui joue à être bien née.
A ton époque, ils maniaient l’épée, notamment pour défendre
leur honneur. De nos jours, ce sont les lois et les règlements qu’ils manipulent,
toujours à leur avantage exclusif et sans la moindre vergogne.
A ton époque, ils se bousculaient à Versailles et se
pressaient autour du Roi pour quémander ses faveurs. De nos jours, ils
pullulent partout où le pouvoir s’exerce, et rivalisent de bassesse et de
tortueux stratagèmes pour s’engraisser continûment sur le dos du reste du monde
qu’ils tiennent dans le plus grand mépris.
Tu le vois, ce ne sont là que différences de forme et non de
fond.
C’est ainsi qu’au terme d’un processus électoral perverti un banquier a fini par être nommé président. Au prix,
certes, d’un lavage de cerveau soigneusement orchestré par les médias
complices du pouvoir – de n’importe quel pouvoir, pourvu que cela flatte l'ego de leurs thuriféraires et favorise leur carrière –, et de l’élimination fort opportune de son principal
adversaire.
Mais ce n’est pas le pire.
Non, le pire, c’est ce totalitarisme de moins en moins
rampant qui s’affirme chaque jour davantage. Le pire, c’est cette oligarchie
politico-financière qui se mêle de chaque détail de nos vies et instrumentalise la loi, avide de
règlementer jusqu’à nos pensées – de préférence pour les criminaliser –, et en tirer
profit au passage. La coercition est partout, et de plus en plus offensive :
il ne se passe pas 24h sans qu’une nouvelle obligation ou une nouvelle
interdiction ne voie le jour, nous n’arrivons même plus à suivre. L’exigence de
soumission devient permanente et radicale ; la volonté de contrôle,
obsessionnelle ; la violence institutionnelle ne connaît plus de limites.
L’État ne se contente plus de ses missions régaliennes (la
manière dont il s’acquitte de cette tâche mériterait d’ailleurs un autre
chapitre), il s’insinue désormais dans l’intime, et entend bien nous contraindre
à lui obéir en tout, par n’importe quel moyen.
Et sans cesse les règles changent ! Il devient
quasiment impossible de se projeter dans l’avenir : nos dirigeants
pratiquent l’instabilité à grande échelle ; ce qui était autorisé, voire
encouragé la veille, est subitement honni le lendemain, piégeant même les plus
honnêtes d'entre nous dans des situations absurdes et incompréhensibles. C’est le
règne de l’arbitraire le plus absolu, de l’injustice poussée à son comble,
de l'abus de pouvoir systématique, de la violence psychologique d'autant plus dévastatrice qu'elle est insidieuse, du mensonge éhonté et du mépris d'autrui qui en est le corollaire.
La fiscalité suit le mouvement, et devient à la fois
moralisatrice et punitive. On ne nous taxe plus pour alimenter le budget de l’État,
on nous taxe pour nous obliger à faire ceci ou à ne plus faire cela. En somme on nous taxe pour notre bien ! On atteint ici les sommets de l'hypocrisie et de la manipulation.
Pour le moment, les contrevenants sont simplement
sanctionnés, ponctionnés, voire livrés à la vindicte d’un peuple chauffé à
blanc par les médias aux ordres. Mais la gangrène totalitaire s’arrêtera-t-elle
en si bon chemin ? Permettez-moi, mon bon Molière, d’en douter.
Déjà, un décret a été promulgué en toute discrétion en mai
2017, qui encourage la délation fiscale contre rémunération. Prétendument pour les
plus gros délits seulement.
Mais le ver est dans le fruit.
Avec la disparition programmée du cash, plus un centime de
nos maigres avoirs n'échappera au regard envieux du fisc.
Avec les caméras à chaque coin de rue, ainsi que dans des
voitures banalisées dont les conducteurs seront payés à nous piéger, plus aucun
de nos gestes n'échappera au contrôle de nos censeurs.
Avec Internet et ses infinies possibilités d’espionnage,
plus aucune de nos pensées n'échappera aux velléités tyranniques de nos maîtres.
Méfiez-vous, le moindre mot tapé sur un moteur de recherche sera peut-être un
jour utilisé contre vous…
J’en oublie, c’est sûr.
Nos vies millimétrées, domestiquées, violées, passées au tamis de la surveillance
tous azimuts, ne nous appartiendront bientôt plus. Le fantasme de
toute-puissance inhérent au pouvoir est en passe de devenir réalité. L’autoritarisme
est de mise, la dictature en marche.
Hannah Arendt et George Orwell nous avaient pourtant
prévenus.
* Cette comédie-ballet en 3 actes fut créée le 17 août 1661
dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte à l’occasion de la fête fastueuse donnée
par le surintendant Fouquet en l’honneur de Louis XIV. Écrite par Molière et
mise en musique par Pierre Beauchamp et Jean-Baptiste Lully, la pièce sera un
succès et sera jouée 106 fois du vivant de son auteur.