dimanche 19 avril 2015

Lois liberticides, fichage de toute la population, caméras et puces électroniques omniprésentes, mise sur écoute de nos échanges même les plus anodins, surveillance sans cesse accrue du moindre de nos faits et gestes, les pouvoirs économiques et politiques ne reculent devant rien pour violer notre vie privée et perquisitionner jusque dans nos consciences.
Eux qui font de l'opacité un impératif indissociable de leur domination ont le front d'exiger de nous une transparence absolue, les premiers par rapacité, les seconds par besoin viscéral de tout savoir et de tout contrôler.

Quid de nos jardins secrets, alors ? Ce refuge où nous pouvons penser en toute liberté, rêver, aimer ou détester, être nous-mêmes enfin, et où personne n'entre sans y avoir été invité ? Que vont devenir nos chemins de traverse, nos échappées belles, nos révoltes et nos coups de folie ? Ne nous restera-t-il donc que le recours à l'autocensure pour avoir la paix ?

Nous avons tous besoin de cet espace intime. C'est une des conditions de notre équilibre, de notre bien-être. De notre sécurité mentale, affective, psychologique.
Y renoncer, l'abandonner aux mains d'individus ou d'organismes aux intentions plus que suspectes, fût-ce au nom de la lutte contre le terrorisme, c'est accepter notre aliénation et nous soumettre au totalitarisme tel que défini par Hannah Arendt. *

"... quand il y va de la conscience, de la pensée, de l'existence intérieure, abdiquer le gouvernement de soi-même, se livrer à un pouvoir étranger, c'est un véritable suicide moral, c'est une servitude cent fois pire que celle du corps..." François Guizot, Hist. générale de la civilisation en Europe, 1828.
Que l'on approuve ou non son œuvre politique, il faut bien admettre qu'en tant qu'historien Guizot nous administre ici la preuve de sa clairvoyance.

* Le totalitarisme selon Hannah Arendt n'est pas un régime politique mais un système dans lequel l’État a investi toutes les sphères de la société au point d'abolir la distinction entre public et privé.

vendredi 10 avril 2015

"Êtes-vous un humain ?" me demande, sans rire, mon ordinateur.
Il faut dire que mon ordinateur n'a pas beaucoup d'humour. Il sait exécuter un nombre de tâches qui dépasse l'entendement - qui dépasse le mien en tout cas -, mais il ne rit jamais. Comme quoi, mon cher Rabelais...
C'est donc avec un sérieux imperturbable qu'il me pose cette question, "Êtes-vous un humain ?". Et pour me permettre de le prouver il me propose un fouillis de lettres et de chiffres mal dessinés que je suis censée reproduire dans le rectangle prévu à cet effet.
J'en déduis que mon humanité se définit par ma capacité à copier ou non un modèle de cinq signes.
En d'autres termes, pour me reconnaître comme appartenant au genre humain, on exige de moi une simple imitation, ce qu'un singe ou un perroquet, chacun à sa manière, réussit parfaitement.
Un comble.

dimanche 5 avril 2015

Il paraît que 52 % des Français et 70 % des Américains dorment mal le dimanche soir (enquête Monster, 2013). On appelle cela l'angoisse du lundi. L'angoisse du retour au travail, avec son cortège de stress et d'oppression.
Cela en dit long sur nos rapports au monde professionnel...
Dans un entretien avec Anne-Sophie Novel (Le Monde, 03/04/2015), Jacques Attali va même plus loin et explique qu'une société dans laquelle on n'a pas de plaisir à aller travailler le lundi est une "société aliénée", dénonçant au passage "l'échec de la société industrielle, qui n'a pas réussi à rendre créatif et valorisant le travail de chacun".

La société industrielle n'a pas réussi cela, en effet, et on ne peut pas dire qu'elle en prenne le chemin... L'homme est au contraire de plus en plus instrumentalisé par les nouvelles méthodes de "management", qui tendent à lui ôter chaque jour davantage sa dignité. Sa capacité d'initiative est tuée dans l’œuf, sa responsabilité réduite à néant, son intelligence, ses compétences méprisées. Il n'est plus qu'un objet sans importance, qu'on déplace ici ou là au gré des besoins ou des lubies de sa hiérarchie, qu'on jette dans des duels fratricides sous prétexte de saine émulation, qu'on maintient dans la crainte et la soumission par le recours systématique à l'arbitraire*, dont on use sans respect ni état d'âme avant de le mettre au rebut et le remplacer par un autre, prêt à avaler plus de couleuvres encore pour avoir le droit (!) de travailler. Le vocabulaire de la "gestion des ressources humaines" est lui-même assez éloquent en la matière.
L'on s'étonnera, ensuite, de la consommation excessive de psychotropes, ou du peu d'empressement d'une partie de la jeunesse à entrer dans le système.

Il y a deux siècles, nos ancêtres se sont battus pour qu'existe la République. Pour que les mots Liberté, Fraternité, Égalité, aient un sens.
Ils ont rasé la Bastille, symbole de la toute-puissance royale. Et nous nous laisserions enfermer à présent dans une forteresse plus redoutable encore ?

Un jour, il faudra bien qu'à notre tour nous trouvions le courage de mettre à bas cette société qui immole sur l'autel du profit l'immense majorité des uns au bénéfice exclusif d'une poignée d'autres.
Le courage de dire non, et d'oser le bonheur.

* Pour mémoire, l'arbitraire est la mise en pratique de l'absolutisme, de l'injustice ou de la tyrannie. Ce ne sont pas là des mots anodins...

mercredi 1 avril 2015

Depuis que les tristes débris d'un avion jonchent la montagne de Barcelonnette, je lis et entends partout l'affirmation suivante : "Le copilote était un jeune homme sans histoire."
Un jeune homme sans histoire.
Certes, je comprends ce que la formule signifie ; néanmoins la réalité qu'elle recouvre m'échappe un peu. Comment peut-on être sans histoire ?
Une page blanche est sans histoire - et encore, si l'on interrogeait le papier, il aurait sûrement des choses à nous raconter.
Mais un homme ? Un être humain, sans le moindre évènement dans sa vie, ni peine ni joie ni douleur ni plaisir ? Rien de rien ? Le néant, une existence de caillou au milieu de nulle part ?
Encore que, si l'on interrogeait le caillou...